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Au sein de la ferme : instaurer puis préserver de bonnes relations humaines

« Associés, agriculteurs employeurs, salariés se croisent beaucoup sur l'exploitation. Ils travaillent en parallèle, pas vraiment ensemble. »

Benjamin Rolland, coach agricole, explique pourquoi et comment créer et entretenir de bonnes relations humaines dans l’exploitation agricole, au sein du collectif de travail.

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De mauvaises relations humaines au sein du collectif de travail, entre associés, familiaux ou tiers, salariés, employeurs et employés, etc. ont des conséquences multiples, pour les membres eux-mêmes, professionnellement et personnellement, et pour l’exploitation agricole, sur les plans technique, économique…

Parmi celles citées dans le questionnaire envoyé aux inscrits en amont du webinaire « Améliorer ses relations », organisé par Benjamin Rolland, coach agricole et également membre du réseau Agricoaching, motivation en berne arrive en première position (100 % des répondants) – Benjamin Rolland n’imaginait pas un tel impact à ce niveau –, suivi de stress/frustration (80 %).

Motivation en berne, stress et frustration.

Baisse de confiance, isolement, diminution de la productivité, incidences financières sont mentionnées par 60 % des enquêtés ; perte de temps, d’estime de soi, fort turn-over chez les salariés, par 40 % ; erreur dans l’exécution des tâches, abandon des projets et de l’innovation par 20 %.

Un jeune agriculteur témoigne : « Depuis cinq ans, mon père a commencé à me transmettre la ferme familiale, mais il ne se focalise que sur les problèmes et s’en rend malade alors qu’au final, ce sont des points sans grande importance. Moi aussi, ça me rend malade. Nous avons engagé une médiation. Tout cela prend beaucoup de temps et d’énergie. Une charge mentale vraiment lourde. En plus, mes parents habitent encore sur la ferme. Il faudrait qu’ils déménagent. »

Pourquoi est-ce important ?

Outre éviter ces nombreuses répercussions, pourquoi est-ce si essentiel d’entretenir de bonnes relations et de bien communiquer ? Le coach agricole prend l’image d’un tuyau. « C’est ce qui nous relie, la relation, explique-t-il. La communication correspond à ce qu’on fait passer dans les tuyaux. » « Elle peut être verbale, non verbale, l’équivalent du langage corporel, et para-verbale, renvoyant au ton, rythme, gestion des blancs, etc. », poursuit-il.

Avec des salariés, les enjeux sont démultipliés car ils ne sont pas sensés savoir, être responsables et prendre des décisions.

Pour que cela fonctionne, il faut donc que « tout le monde tire dans le même sens ». En jeu derrière : la cohésion d’équipe, la prise de décisions réellement partagées, la capacité à tenir un cap dans le temps au sein de l’entreprise. C'este ce qui détermine l’organisation, la coordination, la performance.

Plus qu'une simple transmission d’informations, la communication nourrit l’engagement, l’adaptation, de solidarité, d’ambiance, de confiance en soi et dans l’autre, de compréhension mutuelle, le lien d’appartenance (reconnaissance, place), de sens (« on existe par ou pour les autres). « Si l’on embauche de la main-d’œuvre salariée, ces enjeux sont démultipliés et il faut en prendre conscience », fait remarquer Benjamin Rolland.

Spécificités du monde agricole

Les différentes phases d'une carrière professionnelle sont une occasion de gagner en maturité relationnelle. Nous passons de la dépendance, durant laquelle nous apprenons, à l’indépendance, où nous exécutons les tâches, en autonomie (« de nombreuses entreprises sont bloquées à ce stade en raison de problèmes relationnels », pointe le spécialiste), puis à l’interdépendance qui consiste à « faire avec » ses associés, salariés, et à « faire faire » via la délégation ou la sous-traitance. Ce qui exige des compétences relationnelles croissantes.

Manque de temps, charge mentale et difficulté à exprimer son ressenti.

Sans oublier de tenir compte de certaines spécificités du monde agricole : un manque de temps chronique, un état de stress fréquent lié à une charge mentale élevée, des difficultés à exprimer ses difficultés et ses émotions, des sphères professionnelles et personnelles qui s’entremêlent, dans des modèles familiaux, et la rareté voire l’absence de processus formels (réunions, formalisation des décisions, organisation de l'information, de son stockage…).

Communiquer n’est pas perçu comme important.

Auxquels s’ajoute une certaine distanciation physique : existence de plusieurs sites, productions/activités dissociées, et peu d’espaces communs de discussion (« de bureau dédié, agréable en outre », souligne Benjamin Rolland)… « Les associés, les agriculteurs employeurs, les salariés se croisent beaucoup, mais se posent rarement. Ils travaillent souvent en parallèle, pas ensemble. » Quant à la communication, elle n’est généralement « pas perçue comme importante ». « Elle est faite fréquemment à l’arrache, les informations ne sont pas données assez tôt », pointe-t-il.

Communication subjective et automatique

Il faut savoir, selon l’expert, que 99 % de la communication est subjective, et non objective, donc influencée par la mémoire, l’imagination, l’abstraction, ainsi que la culture, les croyances, les conventions sociales. En fait, nous communiquons sur des représentations : quand deux personnes se rencontrent, ce sont deux mondes subjectifs qui se rencontrent, d’où pas mal d’incompréhensions. Benjamin Rolland exhorte cependant à sortir du « qui a tort, qui a raison ? », qui est « une impasse », et de se demander plutôt ce que l’on perçoit, ressent, pense mais aussi ce que perçoit, ressent, pense son interlocuteur. Un pas important est alors de reconnaître que l’autre a peut-être autant raison que soi.

Autre élément clé à comprendre : 95 % du temps, nous sommes en « mode automatique », c’est-à-dire que nous sommes inconscients de ce que nous faisons, disons : nous mettons en place des routines pour être efficaces, notre capacité à interpréter est faible et beaucoup de choses nous échappent. « Heureusement, lance-t-il, car s’arrêter pour réfléchir est très coûteux en énergie. » Tant que cela se passe bien, il faut continuer ainsi. Mais dès que ce n’est plus le cas, quand nous n’arrivons plus à communiquer, il faut « stopper ce mode robot pour comprendre pourquoi ça coince, prendre conscience de ce qu'il se passe, se calmer si besoin et ne pas dire des choses qui nous dépassent ».

Se faire accompagner

Même s'il est plus facile de juger l'autre, il s'agit de « se comprendre soi-même à travers ses réactions – la relation à soi est aussi déterminante – et comprendre les autres et leur manière de réagir ». Reconnaître que chacun a « un peu raison » ne signifie pas qu’il faut additionner ces deux « demi-vérités ». C'est réfléchir ensemble pour faire émerger quelque chose de nouveau, de différent : le résultat en sera bien meilleur.

Comprendre les autres et soi-même.

Parfois, on n’y parvient pas seul, l’une ou l’autre ou les deux parties étant en colère, soit sur l’offensive ou la défensive. Une attitude vaine, mieux vaut alors faire appel à un tiers, et se faire accompagner. Cet accompagnement doit « mettre chacun en face de ses responsabilités, en interrogeant sur ce que chaque partie veut, ses enjeux, et en mettant un cadre, pour en protéger/sécuriser la relation, et en injectant de la confiance ».

Cela fait appel à des compétences RH : identifier les difficultés, les besoins et le fonctionnement de chacun. Puis, définir un objectif commun et un plan d’action, avec un suivi derrière. Dans ce processus, il est essentiel de « se projeter vers l'avenir », appuie Benjamin Rolland.

Donner ce qu’on aimerait recevoir

Mais alors comment bien communiquer et améliorer les relations humaines ? Appuyons-nous d’abord sur les facteurs qui impactent la qualité des rapports humains, suggère-t-il, invitant à se baser sur ceux évoqués par les participants au webinaire : les non-dits et sous-entendus (80 % des réponses), une mauvaise écoute (60 %), gestion des émotions (40 %), une communication insuffisante, peu de consignes données, ni de respect (40 % également), des appréhensions, pas assez de confiance en soi, des différences de caractères, une parole déséquilibrée (20 %)…

De l’écoute, de la reconnaissance, du soutien…

En découlent plusieurs conseils. Mais d’abord, il peut être intéressant de savoir si chaque membre de l’équipe est plutôt introverti ou extraverti car il conviendra, pour équilibrer la relation, de laisser les uns s’exprimer et d’encourager les autres à davantage écouter. Le principe de base ensuite : « chacun est responsable de son bout de relation, il faut prendre soin de ce qu’on fait passer dans le tuyau » pour reprendre la comparaison détaillée ci-dessus. Or, souvent, ce sont plus des critiques que des propos positifs.

Là encore, il faut viser l’équilibre « sinon ce que vous direz ne sera pas entendu : votre interlocuteur, qui a besoin de confiance, reconnaissance, réassurance, fermera le tuyau pour se protéger ». L’intension prévaut et doit donc être définie clairement. Il faut savoir ce qu’on veut et ce qu’on ne veut pas. Et donner ce qu’on aimerait recevoir : de l’écoute, de la reconnaissance, du soutien, valoriser les qualités, les réussites… « Vous aurez plus de chance de l’obtenir ! », lance le coach. Sans oublier de demander ce dont on a besoin. « Nous croyons que l’autre connaît nos besoins et réciproquement, c’est faux ! »

Communiquer : pourquoi, quoi, où, quand, comment ?

Concrètement, vous devez répondre à trois questions. Pourquoi vous communiquez : informer, prendre une décision, demander un avis, un service… ? Comment vous communiquez : êtes-vous clair, précis, complet, avez-vous les bons arguments… (d’où l’intérêt, en fonction du sujet, de préparer l’entretien) ? Où : le lieu doit être adapté en termes de confort, de confidentialité, etc. et dissocié de la sphère privée. Et à qui : cela peut paraître évident, mais mieux vaut éviter d’intégrer des personnes non concernées.

De même, attendez que toutes celles qui le sont soient présentes, sinon vous risquez pertes de temps et quiproquos, et choisissez un moment où elles seront vraiment disponibles pour qu’elles puissent s’investir pleinement (horaires, charge de travail, état de stress, etc.). Ce qui amène au « quand » : pas trop tôt ou trop tard, lorsqu’on n’a pas suffisamment de temps, en prévoyant à la dernière minute, etc.

Oser dire ce que l’on ressent, y compris nos frustrations.

Quant à la fréquence, autant privilégier une communication rapide, quotidienne ou hebdomadaire, et des réunions de fond, de concertation, régulières mais plus espacées, de trois mois par exemple. Le moyen, lui, peut être varié. « Formel, le courrier ou mail laisse des traces. Il est facile à diffuser, largement, et à stocker. » Il y a aussi le téléphone et les outils sur portables tels que les SMS, les messages vocaux, WhatsApp, la visio, les supports partagés (agenda, drive…), rapides et interactifs où tout le monde peut participer, sans qu’il y ait à retransmettre d’informations : tout le monde entend la même chose en même temps, sans déformation. Ou tout simplement le tête-à-tête.

Quoi de mieux, pour conclure, que quelques remarques de l’auditoire : « Communiquer, c’est aussi oser partager ce que l’on ressent, ce qui nous a fait plaisir ou, au contraire, qui nous a blessés. » Attention à toujours « laisser une porte de sortie à son interlocuteur, pour qu’il puisse s’expliquer, et ne pas avoir de rancœur. » « Quoi qu’il arrive, restons positifs. Ne jamais rabaisser personne, soi y compris. » Ayez cet exemple en tête pour veiller à votre façon de formuler vos attentes : préférer « j’aimerais que tu arrives à l’heure » à « j’en ai marre que tu arrives en retard ».

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